Dans le globe terraqué de la peinture, l'aquarelle est l'humide, le pastel la terre. C'est la terre que Claude Bauret Allard travaille. Seules les plumes de certains grands oiseaux ou pétales de fleur, la pensée, l'orchidée, le chardon, donnent ces vibrations.
Dans la plume- la lie du bleu du ciel- les ocres, les soufres, les charbons, les terres brûlées montent jusqu'aux yeux de ces pétales.
On court toujours vers un tableau comme on court aux nouvelles, les nouvelles à cet instant sont révélations qui portent en elles les soulèvements, quelque chose en perpétuel état de formation.
Leur donner tout le muet pour muer jusqu'à l'espace. Habiter un tableau ce n'est pas user de son sens entendu mais user de son écharde claire logée à même l'obscurité dense de ce que nous sommes.
Cœur, œil, oreille, se trouvent pris dans un battement de paupière.
Comme la nuit, les noirs ne sont pas faits de noir. Pour le peintre l'obscurité agit comme s'il en était la lumière, la couleur.
On pourrait dire du pastel qu'il neige.
La force de la peinture est dans le rapport. Sa palpitation résonne du monde qui a battu dans l'œil du peintre.
La matière comme un solide est continuellement taillée, éprouvée par la lumière, retaillée dans le temps, sur le champ.
La lumière infléchit, prononce, articule, révèle, note, éteint, consume, dans ses éblouissements, dans ses degrés, dans ses coups de balai.
On voit parfois tomber la nuit sur un tableau et les blancs devenir les dernières braises, les derniers jours, le tableau couvant le feu qu'il réserve jusqu'au lever où l'ourlet de lumière -mesure du débordement- donne le plein jusqu'à verser entièrement le jour aux noirs, aux rouges, aux bleus...
Le jour où j'allai pour la première fois dans son atelier, je restai médusée devant un pastel tiré d'une série de paysages sur Israël. Il représentait un simple talus de sable barrant de part en part l'horizontalité de la feuille, durement, comme un rouleau de mer juste avant sa désagrégation en eaux d'écume. Presqu'abstrait, nu, il s'avançait, telle une menace face à notre petitesse d'humains, dégageant un sentiment fatal de solitude, d'impénétrabilité des éléments naturels. Cela me laissa pantoise, un peu comme devant les aquarelles de Cézanne, où, tout à coup, surgit en nous la certitude que là se loge une vérité immuable, quoiqu'impalpable, obtenue par l'artiste à force de rigueur et de concentration : la marque du grand peintre. Je n'échappai pas à ce pastel, dont l'image me poursuivit, prégnante jusqu'à l'angoisse, longtemps après que je fusse repartie...
Entre
le vierge, le vivace et le bel aujourd'hui
et la pourriture de sa chair tremble le mystère
d'un citron moisi.
Arrête de penser et de faire.
Tremble toi aussi.
Lorsque Gwenda Jay et Peter Gombrich vinrent à Paris pour visiter l’atelier de Claude Bauret Allard, ils furent si impressionnés par ses pastels sur le thème de l’architecture, qu’ils lui demandèrent si elle voudrait bien réaliser une série sur Chicago en vue d’une exposition dans leur galerie. La proposition l’inspira et elle peignit pendant près d’un an sur ce nouveau sujet.
« Chicago est une ville lumineuse », dit Claude Bauret Allard, « où la nature interagit sans cesse avec l’architecture et la modernité ».
Dans les pastels de Claude, on trouve cette qualité particulière d’un monde baigné de lumière en même temps qu’obscurci d’ombres étirées donnant le sentiment d’un profond mystère : les arbres dissimulés dans le brouillard deviennent des architectures monumentales qui à leur tour deviennent des ciels- aucune discontinuité mais transformation. Au bord de l’eau, par un matin brumeux, les vagues du lac, dans leur recul, deviennent oiseaux, les immeubles se transforment en ciels ou bien deviennent reflets. Soudain, l’œil saisit une lueur rougeâtre, fragile et devine la présence d’une rangée de bidons rouillés- et c’est comme si la rouille envahissait tout à coup le tableau.
Dans cette série de pastels sur Chicago, Claude Bauret Allard explore la dichotomie entre « la ville moderne », symbolisée par les gratte-ciel et, comme elle le dit, « la ville rouillée », qui est le domaine où l’imaginaire et le réel se croisent. « Chicago est un paroxysme de l’architecture qui me fascine, en particulier la nuit lorsque le ciel devient rouge et que de grandes zones disparaissent dans le brouillard de la ville. Mes pastels sont construits à partir de croquis, de photos ou de visions mémorisées, mais tous témoignent d’une relation quasi affective à la ville. J’aime reprendre les mêmes sujets, sous différents angles et à différentes heures. »
À l’aube du 21ème siècle, « humaniser la cité », lieu du Désir , est un exploit. Les variations suggérées par Claude Bauret Allard nous enchantent car nous ressentons la magie et l’excitation de sa vision tandis qu’elle nous entraine vers ces éblouissantes explorations du downtown de Chicago et ainsi nous donne à voir la « ville émotionnelle » telle qu’elle la perçoit.
Qui aime la finesse du pastel ne doit pas manquer ceux que montre cette jeune femme.
Ces paysages vides, silencieux, immobiles, ce sont des morceaux de nature peut-être encore plus sentis que rêvés, d’où est exclue toute anecdote dans la subtile vibration d’une lumière qui est comme la marque d’une étrange présence.
N’empêche que Claude Bauret Allard les tient avec une poigne rare chez les « paysagistes » d’aujourd’hui souvent trop vite enivrés par une mode qui leur redevient favorable.
Claude Bauret Allard peint d’après nature.
Dessins plutôt : ses paysages sont tellement décantés qu’ils supposent une approche préalable, c’est-à-dire, ce qui est le cas, pas mal de notes et de croquis. Mais tout le superflu, tout pittoresque a été gommé.
Ne restent que les formes et l’atmosphère, la brume qui noie les arbres, la montée du crépuscule qui impose sa lumière et rivalise s’il le faut avec celle d’un fleuve métallique, les dernières résistances du noir aux assauts de l’aube.
Nulle complaisance pour le public, dans ces peintures quasi monochromes, où la progression des gris aboutit aux ténèbres, avec des lueurs bleu-nuit, roussâtres, d’un vert délavé.
Les masses des montagnes et leur fuite moutonnante, les longs découpages de l’horizon distillent un insidieux envoûtement.
En regardant les pastels de Claude Bauret Allard, présentés ici en séquences, l’œil ressent une verticalité, une concentration comme esquissées dans l’espace, créant un sentiment d’élévation, saisi ou intercepté dans sa course.
Peu évidentes au premier coup d’œil, les formes apparaissent progressivement comme si la peinture se créait d’elle-même, dans l’instant, devant celui qui la regarde.
Ici rien n’est immobile, rien n’est définitif, comme le fait la lumière derrière les nuages en mouvement.
Il s’agit d’un espace silencieux, mystérieux, et inhabité.
Le peintre nous invite au voyage, voyage dans un paysage inconnu jusque là, un voyage en soi-même, avec des points d’ombres et de lumière.
La série « Intérieurs chinois » est inspirée par les photos de Robert van der Hilst.
Extrêmement attirée par certaines images de son livre, j'ai compris, en avançant dans mon travail , qu’il s’agissait pour tous deux de ce qu'on pourrait appeler « la peau des choses » commune à son regard porté sur les vieux murs lézardés, salpêtrés, les objets cabossés et le mien scrutant les bidons rouillés et les moisissures.
À partir de cette rencontre sur la transformation que provoque le temps, j’ai interprété l’image pour la considérer sous différentes formes : une réduction à sa géométrie, un détail hyperréaliste, une rémanence ne laissant place qu’à la vibration de la couleur, parfois un monochrome puis un mouvement libre, lyrique, né d’un élément de la photo et enfin, faisant appel à la technique du papier froissé, une vision presque cinétique de l’image première.
J’ai réuni ensuite ces différents éléments pour les mettre en « échos », casser les barrières entre la figuration et l’abstraction et donner une vision à la fois synthétique, analytique et picturale de l’image photographique.